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« Tempête » sonore

mardi 14 juin 2005

Vitrine médiatique de l’Ircam (Institut de recherche et de coordination acoustique-musique), le festival Agora est l’occasion de mesurer tous les ans le degré croissant d’implication de la recherche électronique et musicale dans le théâtre, la danse, le cinéma et les arts plastiques. La huitième édition, disséminée dans plusieurs lieux de la capitale, est marquée par l’arrivée de Frank Madlener, nouveau directeur artistique du fameux institut créé par Pierre Boulez à la fin des années 70.

Pianiste et chef de formation, passé par la direction artistique du festival Ars Musica de Bruxelles et par le festival Musica de Strasbourg, il veut faire souffler « un courant d’air frais » sur la maison, stigmatisée à tort depuis sa création comme la forteresse d’une pensée musicale unique. Madlener s’est donné pour objectif de démontrer au public que « "compositeur Ircam’’, cela ne veut rien dire, ils sont tous différents », en multipliant la production de spectacles utilisant la technologie maison.

Inouï. En interne, il prône une révolution copernicienne visant à mettre la recherche théorique au service de la création, et non plus l’inverse. Il prend pour exemple l’arrivée du Britannique George Benjamin à l’Ircam pour la composition d’une nouvelle oeuvre : « Il ne vient pas pour nos logiciels de spatialisation et de transformation électronique du son en temps réel, et peut-être son oeuvre ne comportera-t-elle pas du tout d’électronique. Par contre, en se penchant sur ses préoccupations artistiques lors de réunions régulières, on créera une effervescence qui permettra de creuser des pistes théoriques nouvelles et concrètes ; ce qui nous forcera à inventer des solutions pratiques. »

En attendant, place au spectacle avec Agora, qui s’est ouvert jeudi aux Ateliers Berthier, avec un « opéra » pas comme les autres : Avis de tempête, de Georges Aperghis, figure tutélaire de « l’inouï », titre de la revue de l’Ircam que lance son directeur Bernard Stiegler. L’image choisie pour la couverture du premier numéro est celle d’une plate-forme pétrolière en pleine mer, déchaînée par l’orage. Et fait de cet Avis de tempête ­ créé l’an dernier à l’Opéra de Lille, et présenté depuis à Nancy ­ un symbole des enjeux pluridisciplinaires d’Agora 2005. Mais aussi de tout ce qu’on voudra y projeter d’esthétique, politique, existentiel, car cet « opéra » ne raconte pas une histoire avec des actions et des personnages : c’est un dispositif de mise en tempête intérieure. Au centre du plateau, une tour de contrôle, dans laquelle sont installés techniciens et ordinateurs, et qu’environnent des écrans vidéo tendus sur des architectures de métal. Tout autour, les musiciens de l’Ensemble Ictus, que dirige depuis un podium excentré Georges-Elie Octors.

Raffinement. Les vocalistes, la soprano Donatienne Michel-Dansac et les barytons Lionel Peintre et Romain Bischoff, tournent sans cesse, apparaissent et disparaissent des écrans. Tandis que voix et timbres acoustiques, transformés par synthèse granulaire, filtrage, squelettisation, criblent la salle de « carrousels », « verticales », « nuées » ­ pour employer le vocabulaire d’Aperghis ­ et font surgir, d’un raz de marée scintillant d’une heure dix, syllabes arrachées à Kafka, phonèmes échantillonnés chez Melville, mots hantés de Shakespeare. D’une belle vitalité rythmique et d’un grand raffinement, l’exercice est impressionnant tant du point de vue technique que poétique, avec sa conclusion limpide, en forme de nouveau départ.

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