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Morrissey : 50 ans en 50 morceaux

vendredi 8 janvier 2010

Morrissey vient de fêter, oui oui, ses 50 ans : l’occasion de revenir, en 50 vidéos, sur la trajectoires du bonhomme, de l’aube des Smiths aux derniers soubresauts de sa carrière solo, pour finir par quelques reprises pas piquées des hannetons (Oasis, Radiohead...).

Morrissey a sorti un nouvel album, et puisque la démarche critique me l’impose, je dirai que Years of Refusal est agréable à écouter, mais il ne vaut pas Viva Hate, Your Arsenal, ou le beau Vauxhall and I. Morrissey sera toujours -in excelsis mihi- Morrissey, mais il va bientôt avoir 50 ans. Le faux appareil acoustique et la poche remplie de glaïeuls ont disparu depuis longtemps ; sa voix s’est adoucie. (Pour dire la vérité, elle est devenue une sorte de tyrolienne.) Néanmoins, Years of Refusal , c’est du bon boulot, et ses meilleurs morceaux - « Shame Is the Name, » « You Were Good in Your Time, » et « It’s Not Your Birthday Anymore » - soulèvent de nouveau une question qui me hante depuis la première fois que j’ai entendu les Smiths il y a 25 ans. Qu’est-ce qu’il y a dans la voix de cet homme qui me brise le cœur ?

Pour comprendre Morrissey, il faut d’abord séparer l’artiste non seulement de l’homme mais aussi de « Moz », ce personnage public coquet et soigneusement construit qui a permis à un adolescent reclus de devenir une icône en Angleterre. Ce Morrissey - le Morrissey joueur, amer, célibataire, métrosexuel avant l’heure - amuse beaucoup, et en trois décennies, il n’a jamais donné un entretien ennuyeux. (« Vous n’en avez aucune preuve, » répondit-il sèchement une fois à un journaliste qui osait le qualifier d’humain. « En fait, je suis 40 pour cent en papier mâché. ») Mettez à part les répliques et les sous-entendus, aussi amusants soient-ils, et allez encore plus loin en ne prêtant pas attention aux paroles. Je sais, c’est une hérésie ; Morrissey est le parolier le plus digne d’être cité dans un livre d’or. (« I dreamt about you last night/ Nearly fell out of bed twice/ You can pin and mount me/ Like a butterfly ... » [J’ai rêvé de toi hier soir / J’ai failli tomber du lit deux fois / Tu peux m’épingler / Comme un papillon]) Ne vous y trompez pas ; vous allez vous retrouver dans un monde de meurtres d’enfants, de végétariens militants, de travelo, et de harcèlement contre les Tories. L’homme tient à ses obsessions, mais il est possible de l’imaginer sans. Par contre, il n’est pas possible d’imaginer Morrissey sans une chose : la souffrance que l’anonymat lui a infligée.

« J’en ai marre d’être un génie inconnu », a gribouillé Steven Morrissey à 18 ans. « Je veux être célèbre MAINTENANT et pas quand je serai mort. » Il allait être obligé d’attendre dans sa chambre encore cinq ans. Entre temps, sa vie a consisté à vivre du chômage, écrire des lettres au New Music Express, lire des manifestes avec des titres tels que La libération masculine et L’eunuque femelle, et commencer - avant de renoncer - à l’apprentissage de différents instruments de musique. A 19 ans, il a chanté deux fois, mal, dans un groupe appelé les Nosebleeds, et, perfectionnant sa capacité à admirer, il a publié deux monographies - plutôt des fanzines - une au sujet de James Dean, l’autre sur les New York Dolls, qu’il a toujours adorés.

Mais c’est le réveillon de la Saint-Sylvestre 1979 qui nous donne la meilleure image du jeune Morrissey : à 20 ans, Steven a célébré l’entrée dans les années 80, tout seul dans sa chambre, en lisant Orgueil et Préjugés.

L’horreur de rester un inadapté dans la grisaille de Manchester, mal aimé, incompris - ce genre de pathos se transforme vite en blabla, n’est-ce pas ? - est la toile de fond de toute adolescence depuis l’abolition du travail des enfants. Et on peut comprendre l’angoisse de Morrissey : être asexué dans une dure communauté d’immigrés irlandais, être un enfant créatif dans une école sans cours de théâtre, d’art ou de danse. Et le fait que ce sentiment lui soit resté jusqu’à ce qu’il devienne célèbre est plus important que les détails de sa vie. « On ne pouvait imaginer quelqu’un présentant moins de probabilité de devenir une pop star », a dit de lui Tony Wilson, l’impresario de Joy Division, et qui peut dire le contraire ?

Encore une rencontre

Toutes les grandes associations de l’histoire musicale britannique ont commencé par une rencontre mythique, puis se sont terminées en divorce, et quand la somme des parties s’est avérée inférieure au tout, on s’est livré à de vaines conjectures. Et si Lennon n’était pas devenu l’ami de McCartney ? Et si Jagger avait pris plus tard le train de Dartford ? Et si Strummer avait dit non ? Si Johnny Marr n’avait jamais frappé à la porte de Steven Morrissey, ce dernier aurait-il trouvé sa voie ? Marr, de quatre ans le cadet de Morrissey, était tout ce que Morrissey n’était pas : musicien, travailleur, tenace, astucieux. Surtout, n’étant pas égocentrique, il savait ce dont avait besoin un groupe de musique, en plus de lui. Marr a vu quelque chose chez Morrissey que personne d’autre n’a vu - un charisme particulier qui pouvait éventuellement se transférer à la scène. Donc, il a rendu visite à Morrissey dans sa chambre.

C’était en mai 1982. Leurs premiers concerts eurent lieu en janvier 1983. Au deuxième, dans un club de Manchester appelé le Manhattan, Morrissey a conclu la soirée en sortant des confettis de sa poche et en les jetant sur une foule en délire. En mai 1983, le groupe a sorti son premier single, « Hand in Glove. » C’est un début solide, mais rien en comparaison de « This Charming Man », sorti six mois plus tard, une des très rares faces A parfaites jamais produites par un groupe aussi jeune. Le jeu de guitare de Marr est à la fois anguleux, un peu post-punk et gracieusement mélodique ; la voix de Morrissey a complètement évolué, du ronronnement de "Hand In Glove," à ... Morrissey. "I would go out tonight/ But I haven’t got a stitch to we-eeear. ..." ("Je sortirais ce soir / Mais je n’ai rien à me me........ettre. ») Aucun groupe n’est jamais devenu si bon si vite. La chanson n’a toujours pas vieilli d’un jour, et quand je l’écoute, moi non plus. Comment tout s’est-il assemblé d’une façon aussi parfaite ?

Les Marvelettes, les Supremes et les Vandellas

Au fil des années, les centres d’intérêt ont évolué. Oui, les Smiths étaient un groupe centré sur la guitare à une époque où les autres privilégiaient plutôt le synthétiseur ; et oui, l’angoisse de Morrissey était littéraire et futée. Mais les souvenirs de Marr sont révélateurs. « Notre première inspiration a été les Marvelettes, » a dit Marr. « Nous avons affiché très consciemment cette influence rétro, « girl group, » années 60. « Girlfriend in a Coma, » c’est « Young, Gifted, and Black » - la musique, je veux dire. Vous pouvez chanter « Young, Gifted, And Black » sur la mélodie. » Les Smiths ont pris le rythme leste des Marvelettes, des Supremes, de Martha and the Vandellas, et l’ont recouvert d’une vie - celle de Morrissey - faite de rêveries mélancoliques. Les rythmes dansants et mélancoliques, Barry Gordy et Gide, ont été enregistrés sur le même sillon en vinyle. D’un côté, la musique vous donne envie d’ouvrir brusquement la porte ; de l’autre, la voix du chanteur vous encourage à retourner dans le confort de votre chambre à coucher. Bien que le chanteur ait très envie de faire partie du groupe, il a peur que son identité - délicate et étrange - ne survive jamais à la transplantation du cocon en plein air.

Mais il l’a fait, pas vrai ? Comme on pouvait s’y attendre, Morrissey a adopté les habitudes de toutes les célébrités du rock. Il arrivait en retard, était capricieux et hostile avec la presse. Cependant, la réaction contre lui, sa représentation sous les traits d’une diva-vampire, parasite du talent supérieur de Marr, mélange plusieurs choses. Il est vrai que Morrissey ne s’est jamais retiré pour travailler sa technique, comme l’ont fait Dylan à Hibbing ou les Beatles pendant leur célèbre séjour à Hambourg. Mais ça ne minimise aucunement la contribution de Morrissey aux Smiths, aussi bien en tant que parolier que comme chanteur. Ses capacités techniques n’étaient pas considérables au début mais son pouvoir d’insinuation émotionnelle était énorme. Et cela n’est pas sorti de nulle part mais de sa chambre.

Enfant solitaire

Ce mot revient souvent dans sa biographie. Marr l’a sauvé de « sa vie solitaire dans sa chambre », a écrit Paula Woods, dans la préface d’un recueil d’entretiens. Dans un livre très divertissant Morrissey : From Where He Came to Where He Went, un journaliste a écrit que « le recyclage de ses premiers engouements et obsessions est une façon de prolonger l’univers d’un enfant solitaire dans sa chambre. Ça lui a servi de réconfort quand il est sorti dans le monde : d’une certaine manière sa chambre est toujours avec lui. » En décrivant les débuts légendaires de Morrissey dans l’émission Top of the Pops, un autre journaliste a noté, « c’était presque comme si tu regardais quelqu’un par la serrure en train de chanter devant la glace dans sa chambre. »

Les stars de rock ont toujours projeté une double image : je suis surhumain au delà de ce que vous imaginez / je suis exactement comme vous. Et Morrissey s’est bien gardé de ne jamais perturber l’image que ses fans avaient de lui : celle d’un célibataire retiré qui sort parfois de sa chrysalide pour chanter en live. Mais la voix mérite son emprise dylanesque sur nos cœurs quand vous vous souvenez du contexte où elle est née. 1983, l’année de "This Charming Man," marque le moment où les années 80 sont devenues les années 80. Auparavant, le Thatchérisme en Angleterre et le Reaganisme aux Etats-Unis n’étaient que de vides promesses. Quand les taux d’intérêt sont descendus, les deux économies se sont décongelées et il y a eu du spandex partout. C’était l’année de Flashdance, de "Every Breath You Take" et de Thriller ; celle des films Risky Business et Les Copains d’abord.

Si cette liste ne vous donne pas envie de vous cacher sous le lit, vous n’êtes sans doute pas un fan des Smiths. Je pense que la meilleure expression pour décrire l’époque serait sans cœur, qu’on la retrouve dans le rictus stupide du visage de Sting, vers 1983, où bien dans les réformes budgétaires de Margaret Thatcher. Bien qu’il ait avoué détester Thatcher, cette haine culminant dans "Margaret at the Guillotine," il faut bien reconnaître que c’est le Thatchérisme qui a fait Morrissey. La Dame de Fer a incarné le manque absolu de pitié qui permettrait à l’Angleterre de fabriquer de nouveau des gagnants. Mais aussi, inévitablement, des perdants. Et voici la source de l’originalité de Morrissey. Des chanteurs de rock avaient déjà embouché les trompettes de la victoire ; d’autres avaient pleuré comme des agneaux. Mais avant Morrissey, qui avait fait les deux ? D’un seul souffle ?

"Oh, pourquoi suis-je si nul ?" demande l’agneau, avec le reste du monde anéanti par le star-système et le néo-libéralisme. « M’as-tu vu ? Je suis beau ! Je suis célèbre ! » exulte le conquérant, qui exploite l’énergie du nouvel éthos. Ce jeu entre la domination et la soumission, la menace et la peur, la floraison et la pourriture est le fil conducteur de la meilleure musique des Smith, sans jamais devenir une recette. Pensez à la guitare déchirante de Marr dans "How Soon Is Now," juxtaposée avec la vulnérabilité nue des paroles de Morrissey : « I am human and I need to be loved. » (« Je suis humain et j’ai besoin d’être aimé. ») Ou la musique de « Heaven Knows I’m Miserable Now, » (« Dieu sait combien je suis malheureux maintenant ») qui pourrait aussi bien être un riff de musiciens de studio qui préparent un single de Sugar Ray.

Cette voix, celle d’un malade confiné qui tremble sur le seuil, a ému ses admirateurs de la même manière que celle de Dylan a ému des personnes qui ont 10 ou 15 ans de plus que nous. Les deux ont pu exprimer une gamme de sentiments inédite pour les gens. Quelle honte, quand même, que la quête de notre Dylan n’ait jamais été que celle d’un égoïste frustré, ne désirant ni la paix, ni la justice ni l’amour universel, mais plutôt les fastes de la célébrité, tout seul dans sa chambre.

Stephen Metcalf

Article traduit par Holly Pouquet

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