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Dans le silence ou dans le bruit

lundi 16 mars 2009

Ces dernières semaines, le chanteur, affaibli mais transcendé, reportait les dates de concert sans les annuler, dopé par la ferveur d’un public unanime.

Alain Bashung était attendu demain soir sur la scène parisienne du Grand Rex. Après-demain aussi. Il ne viendra pas, mais ne s’y était résigné qu’in extremis, faramineux faraud. Jeudi, officiellement, le concert était maintenu, imperméable à la cruelle évidence. Ces derniers temps, les rendez-vous qu’il avait fixés avec le public avaient été ajournés, pas annulés. Il ne le souhaitait pas. En province, comme à Paris, on disait donc « concerts reportés », sans trop oser demander à quand. Avant ces deux Grand Rex volatilisés, deux autres, dans les premiers jours de mars, avaient connu le même sort. Mais auparavant encore, Bashung avait rempli comme presque jamais toute une série d’Olympia, dont il était ressorti une nouvelle fois grandi ; puis des rendez-vous dominicaux fixés avec élégance à l’Elysée-Montmartre, autre étape fameuse sur la carte des salles parisiennes. Là, chaque fin de week-end automnal, il mobilisait ses troupes, de plus en plus nombreuses, puisqu’attirées par la rumeur fondée de moments fulgurants, et conscientes du fait qu’il ne fallait plus tarder. Que le temps était peut-être compté.

Chapeau. A l’Olympia, Bashung reprenait Angora vers la fin du spectacle. « Les pluies acides décharnent les sapins/ J’y peux rien, j’y peux rien/ Coule la résine/ S’agglutine le venin/ J’crains plus la mandragore/ J’crains plus mon destin/ J’crains plus rien/ Le souffle coupé/ La gorge irritée/ Je m’époumonais/ Sans broncher. » Contextuellement bouleversante, la chanson, classique des années 70 agonisantes, n’était plus de mise à l’Elysée-Montmartre, qu’il continuait d’arpenter avec ce chapeau devenu, sur les affiches comme en représentation, symbole d’une maladie qu’il assumait ainsi en l’escamotant, crâne lisse invisible, silhouette étique, lunettes sombres - plus que l’humeur, en tout cas.

Durant les derniers mois, Bashung entretenait avec la scène et la maladie une relation fusionnelle et paradoxale, conflictuelle, par conséquent : c’est lui qui, même très diminué, insistait pour honorer toutes les dates liées à son dernier album, Bleu pétrole. Demandait qu’on en ajoute, sans en rajouter. Jamais avide d’effusions, on savait, voyait que la ferveur du public agissait chez lui comme un antidote - ou placebo. A l’inverse, le rythme de vie inhérent aux déplacements, même aménagé, contribuait à le diminuer un peu plus physiquement, autant qu’il le dopait moralement.

Très affaibli, souffrant par surcroît d’une otite, il avait enflammé les dernières Francopholies de La Rochelle. Transcendé sans ostentation ni artifice toutes ses dernières apparitions, unanimement ovationnées, qui corroboraient le sentiment d’une classe rock inouïe jusque dans les moments où, hors circuit, on pouvait croiser un homme réputé amène, pudique et réservé, dont rien, dans la démarche, le geste ou la parole, n’aurait laissé présager l’extraordinaire mélange de force et de volupté qu’il aura jusqu’au bout su exprimer.

Statuettes. Triomphe de l’année 2008, dans une industrie engluée dans le marasme, Bashung était redevenu l’artiste populaire qu’il n’avait fondamentalement jamais cessé d’être. Voici quinze jours, aux Victoires de la musique, il était encore venu chercher une ultime brassée de statuettes, décrochant au passage un record de récompenses (onze) sur l’ensemble de sa carrière. Debout, la profession lui avait rendu un hommage trop ému pour être malhonnête, quoiqu’amplifié par l’indécence consubstantielle des caméras de télévision. Au bout du rouleau, Bashung avait bredouillé - même à plein régime, il n’avait jamais su confondre la scène avec une tribune - quelques conventions d’usage, interprété une chanson un peu miraculeuse. Mais il ne pouvait pas faire plus. Désirait s’économiser inconsciemment pour ces autres concerts qu’il ne parviendrait plus jamais à donner. Rêvait selon toute vraisemblance de s’effondrer une bonne fois pour toutes entre deux accords. Dans le silence ou dans le bruit. Dans le silence et dans le bruit.


source : Liberation

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