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U2 : "Notre musique est un antidote à la peur"

mercredi 25 février 2009

La sortie, vendredi 27 février, du douzième album studio de U2, No Line on The Horizon, est l’un des événements phonographiques internationaux de l’année. Considérés comme le groupe rock le plus populaire et le plus riche du monde, les Irlandais ont reçu Le Monde, le 23 février, dans une suite de palace parisien. Un entretien en deux temps. D’abord avec l’affable guitariste The Edge et le batteur Larry MullenJr., puis avec le discret bassiste Adam Clayton et Bono, leader souriant et charismatique.

Comment U2 reste-t-il un groupe créatif après 30 ans d’existence ?

The Edge : Rien ne serait plus ennuyeux que de nous contenter de nos vieux hits. A chaque album, une de nos principales motivations est d’écrire au moins 4 ou 5 chansons que nous aurons envie d’inclure dans notre set. Dans le passé, certains titres ont été spécialement composés en pensant à la scène. Pour Where the Streets Have No Name, par exemple, je me souviens travaillant déterminé à composer une chanson faite pour le live, même chose pour Vertigo. Cela n’a pas été le cas pour ce nouvel album. Pourtant, presque tous les titres du disque pourraient être joués en concert.

Bono : Nous semblons ne pas avoir de mémoire. Je n’écoute d’ailleurs jamais nos albums une fois qu’ils sont sortis. Nous ne regardons pas en arrière. Peut-être la faute de Bob Dylan et de sa chanson, She Belongs to Me (Bono prend la voix nasillarde de Bob Dylan) : "She’s an artist she don’t look back" (rires). Bruce Springsteen nous a dit un jour : "Quand on fait ce métier depuis un certain temps, le plus difficile est de surprendre". Dans cet album, nous avons voulu nous surprendre.

Vos deux albums précédents, "All That You Can’t Leave Behind" et "How to Dismantle an Atomic Bomb", étaient pourtant des retours aux sources du son originel de U2 ?

The Edge : Avant cela, nous avions traversé une période expérimentale. Dans un album comme Pop, nous avions tellement tendu vers une abstraction du son de U2 que nous avions fini par nous perdre. Dans les deux derniers albums, nous avons fait un effort très conscient pour travailler la chimie brute d’un groupe de rock. Après cela, nous avons pu repartir explorer de nouveaux territoires.

Bono : Il était intéressant après cela de retravailler les trois couleurs primaires du rock : guitare, basse, batterie, avec un minimum d’interférences de la technologie. Mais la vérité est que nous adorons la technologie (rires), le studio comme instrument d’écriture.

Vous avez de nouveau retravaillé avec Brian Eno et Daniel Lanois ?

Larry Mullen Jr. : Pour la première fois, nous avons crédité Brian et Danny comme co-compositeurs. Les gens imaginent souvent Eno comme un homme-machine, alors qu’il est complètement humain et a même parfois du mal à maîtriser ses ordinateurs. Cela fait partie de son génie de compter sur les accidents.

Qu’est-ce que vous a apporté votre session d’enregistrement à Fez, au Maroc ?

The Edge : Nous nous sommes installés dans un petit hôtel, dans la cour duquel nous avons posé nos instruments. Nous avions le ciel et les oiseaux au-dessus de nous. Dans un studio normal, dès que la lumière rouge s’allume tu t’obliges à produire ce qui est attendu. A Fez, nous étions libre de prospecter l’inattendu. Au final, nous n’avons peut-être utilisé que 10 % de ce que nous avons enregistré au Maroc, mais cette étape a été cruciale pour tout l’album.

Larry Mullen Jr. : Nous publierons peut-être un jour ces morceaux non utilisés dans un album à vocation plus expérimentale.

On retrouve sur l’album des sonorités typiques du groupe et quelques nouveaux sons de guitare. Quelle part faites-vous, Edge, entre ce son reconnaissable entre tous et vos envies de nouveauté ?

The Edge : Nous nous sommes créé un style à partir de nos limites. Nous venons du mouvement punk, nous avons commencé sans savoir jouer. Cette petite palette de base nous a obligé à être créatif. Larry et Adam ont été mes plus grosses influences, j’ai développé mon style afin de mettre en valeur leur dynamique. Aujourd’hui, je suis toujours à la recherche de nouveaux sons. Un nouveau son dictera à 100 % ce que je vais jouer.

Il y a quelques mois, pour les besoins d’un documentaire sur les guitares Gibson, vous avez joué avec Jack White, le chanteur-guitariste des White Stripes, et Jimmy Page, le guitariste de Led Zeppelin. Qu’avez-vous tiré de cette expérience ?

The Edge : C’est peut-être à cause d’eux que la notion de gros riff a pris autant d’importance dans le nouvel album. C’était une rencontre enrichissante, même si notre conception de l’"authenticité" est complètement différente. Pour Jimmy et Jack, tout vient du blues et tout doit être fait pour être le plus fidèle possible au blues originel.

Personnellement, je ne vois pas ce qu’il y a d’authentique dans le fait qu’un jeune blanc de la bourgeoisie essaie d’imiter des musiciens afro-américains venus des champs de coton et dont la musique est un cri contre l’oppression de l’esclavage. Ce qui m’intéresse, c’est justement les différences et les innovations qu’ont apporté et apportent encore des musiciens comme Jack et Jimmy.

Etes-vous proches les uns des autres en dehors des périodes d’enregistrement ?

The Edge : Nous nous voyons beaucoup, même quand nous partons en vacances. Depuis plusieurs années, Larry, Bono et moi avons chacun des maisons proches les unes des autres sur la Côte d’Azur, en France.

Larry Mullen Jr. : Même si nous nous arrangeons toujours pour faire de la musique à Dublin, nous travaillons beaucoup en France. Bono y écrit souvent et trouve que l’air de la Côte convient mieux à sa voix.

The Edge : Nous sommes restés très proches. L’autre jour, j’étais très surpris d’entendre quelqu’un raconter que le plupart des groupes ne partageait pas la même loge en tournée. Cela nous paraîtrait impensable.

Les nombreuses activités caritatives et extra-musicales de Bono ne posent-elles pas de problème pour l’organisation du groupe ?

The Edge : Nous en profitons pour travailler la musique des morceaux. Quand il revient, nous pouvons lui jouer des choses qui vont d’autant plus l’inspirer. C’est comme ça qu’il fait ses meilleurs textes et ses meilleures voix.

La longévité du groupe s’explique-t-elle en partie par la foi que vous mettiez dans votre musique dès vos débuts ?

Bono : Nos chansons du début des années 1980 étaient pleines de naïveté mais elles étaient intrépides, possédées par une pure joie de jouer et un abandon qui étaient très loin du cynisme dominant à l’époque. Beaucoup de groupes se voulaient cool, nous étions brûlants.

Avec le temps, nous avons appris quelques trucs, mais il faut se méfier du "métier", du savoir-faire. En vieillissant, nous avons appris à nous remettre en question. Aujourd’hui, ce nouvel album est la somme de ce que nous avons appris et aussi de ce que nous avons appris à laisser de côté, comme la vanité intellectuelle qui t’empêche d’être un véritable chanteur soul.

U2 n’est-il pas plus devenu une entreprise qu’un groupe de musique ?

Bono : Je dis parfois que nous sommes un gang de quatre musiciens et une société de cinq personnes (incluant leur manager Paul McGuinness). Nous avons choisi de ne pas reprendre un des mensonges les plus pernicieux de la mythologie du rock’n’roll : prétendre qu’un groupe n’est pas une marque.

Le public aujourd’hui est beaucoup plus averti de cela, mais dans les années 1980, c’était un délit d’avoir un disque N°1 où de remplir un stade. Dès nos tout débuts, notre manager nous a dit : "Ce serait une honte d’être bon en musique et nul en affaires".

Parlez à Bowie ou à Mick (Jagger) et Keith (Richards) des années qu’ils ont passé à se faire arnaquer. Les Beatles ont dû attendre l’arrivée des CD pour vraiment gagner de l’argent ! Tout le monde sait maintenant que l’organisation d’une tournée demande la collaboration de plusieurs types d’intelligence. L’hémisphère droit de notre cerveau dialogue avec l’hémisphère gauche.

Votre album sort dans un contexte de crise financière mondiale. Une énorme machine comme U2 a-t-elle encore une pertinence dans le monde tel qu’il évolue ?

Bono : Nous vivons dans une époque de peur. Notre musique est un antidote à cela. Elle est la bande-son capable de me faire sortir d’en dessous du lit (rires). Cela dit même si cet album est plein de bruits joyeux, il se termine par des mots lugubres : "Choose your enemies carefully ‘cos they will define you /(…) They’re not there in the beginning but when your story ends / Gonna last with you longer than your friends " ("Choisis tes ennemis avec soin car ils te définiront / (…) Ils ne sont pas là au début mais quand ton histoire se termine / Ils restent avec toi plus longtemps que tes amis"). U2 choisit ses ennemis avec soin.

Quels sont-ils ?

Bono : On ne choisit pas les plus évidents. Désignez Bush, Tony Blair, l’establishment, c’est si prévisible. A nos débuts, nous étions plus dans cette logique de c’est "nous" contre "eux". Rapidement, nous avons compris qu’il n’y avait que des "nous". Nos ennemis sont les obstacles qui empêchent chacun de réaliser son potentiel. Ils sont souvent nos propres petites hypocrisies. Cette crise doit être une chance pour repenser la mondialisation, en englobant le plus grand nombre, pas juste des privilégiés.

Vous avez été critiqués quand, en 2006, le groupe a déménagé une de ses sociétés de l’Irlande vers les Pays-Bas pour bénéficier de réduction d’impôt ?

Bono : Beaucoup de gens ont cru qu’il s’agissait d’évasion fiscale alors que tout cela s’est fait dans la plus grande transparence. Comme toute entreprise qui se respecte, nous avons toujours été très attentifs et malins par rapport aux taxes et impôts que nous devions payer. L’Irlande a d’ailleurs souvent favorisé l’installation d’entreprises qui recherchaient des régimes fiscaux avantageux. Cela a même été une des raisons de la prospérité du pays.

En quoi un groupe comme U2 est-il intéressant aujourd’hui ?

Bono : Il est plus facile d’avoir du succès que de la pertinence. L’air du temps ne dépend pas que du culturel, mais aussi de l’économie, de la politique, du spirituel. Même les gens qui n’aiment pas U2, trouvent, je pense, le groupe intéressant. Car nous brassons la musique mais aussi la politique, le commerce, les nouvelles technologies, la mode, l’art contemporain…

The Edge : Si, en tant que collectif, nous sommes toujours pertinents, c’est parce que nous faisons attention à le rester. Nous n’écrivons pas sur du vide, nous sommes comme des étudiants de la culture. Nous observons, nous absorbons tout ce qui se passe, la façon dont le monde et la musique évoluent. Des artistes comme MGMT, Secret Machines, The Killers, Elbow, Sigur Ros ou Johnny Cash, par exemple, ont pu être des sources d’inspiration.

Etes-vous sensibles à la façon dont la musique est aujourd’hui consommée par la génération Internet ?

The Edge : Je n’aime pas la façon dont la musique est banalisée. Nous voulons nous accrocher à ce que nous croyons être la cohérence d’une œuvre et à l’idée qu’un album n’est pas qu’une suite de chansons, mais une unité avec un fil conducteur. Nous espérons sortir un album que les gens écouteront dans son ensemble plutôt que d’avoir envie d’en télécharger deux-trois chansons.

Ne trouvez-vous pas que le slogan de Barrack Obama, "Yes we can" aurait pu être chanté par U2 ?

Bono : C’est ce qu’on nous a dit (rires). N’est-ce pas fou pour un groupe qui, à vingt ans et quelques, a écrit une chanson (Pride (In the Name of Love)) sur Martin Luther King, de se retrouver sur les marches du Lincoln Memorial, là où le pasteur avait lancé son "I have a dream", pour jouer deux chansons comme invité d’Obama. Quelqu’un leur a-t-il dit que nous étions Irlandais ?

Par Stéphane Davet

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